Le ferry Ilala : le taxi hebdomadaire du lac Malawi
En guise d’introduction, voici une petite vidéo de mon voyage à bord du ferry Ilala (pour ceux qui ont vu celle sur Likoma, oui, il y a des images en commun, j’avoue) :
Comme j’en parle dans le post dédié à mon escapade à Likoma, j’ai traversé une grande partie du lac Malawi sur le ferry Ilala pour atteindre cette île charmante au centre Est du lac au terme de deux jours et une nuit de navigation. Aussi appelé le lac Nyassa, le lac Malawi occupe un cinquième de ce petit pays de 118 000 km2 et est un élément essentiel de la vie locale et des échanges économiques.
Depuis 1949, le mythique ferry Ilala en fait le tour chaque semaine. « Ilala » signifie « liberté » en chichewa, et il porte bien son nom car il permet en effet aux habitants de traverser le pays pour un prix abordable et de désenclaver certaines parties du lac qui seraient sans cela peu (ou pas) accessibles.
Pour la petite histoire, la signification de « Ilala » en chichewa m’a été donnée quelques semaines plus tard par Paul, une personne rencontrée par le plus grand des hasards sur un voilier à Wayag – une île inhabitée du Raja Ampat en Papouasie indonésienne – alors que je venais juste de terminer la rédaction de ce post que je n’avais pas encore pu mettre en ligne faute d’Internet. D’origine anglaise, Paul a passé une grande partie de son enfance au Malawi et avait baptisé son précédent bateau Ilala. Incroyable tout de même ces hasards des rencontres, surtout aussi lointaines (je précise que nous avons croisé en tout et pour tout 3 bateaux individuels en près de deux mois) !!!!
Pour en revenir au Ilala originel, il quitte Monkey Bay dans le Sud le vendredi matin et remonte vers Chilumba au Nord, avant de rejoindre son point de départ cinq jours et demi plus tard, en tirant des bords de part et d’autre du lac. Détenu par une société privée (la Malawi Shipping Company), il pèse 400 tonnes et peut accueillir 450 passagers. Comme il est un peu difficile d’obtenir des informations précises en ligne sur son trajet hebdomadaire pourtant immuable, voici la carte détaillée et l’emploi du temps du ferry Ilala.
J’ai bien failli pourtant ne jamais fouler le pont de cette embarcation historique qui n’est plus dans sa prime jeunesse, comme en témoigne dans la salle réservée à l’équipage les vieux outils de navigation tels que cet instrument qui permet de transmettre l’allure à la salle des machines, située à fond de cale.
Le ferry a en effet été sorti de l’eau en 2014 pour des réparations importantes et devait être remplacé par le Chilembwe, un bateau flambant neuf construit par une équipe de hollandais et malawiens à Monkey Bay. Beaucoup plus petit (sa capacité est de 120 passagers et 20 tonnes de fret), il est deux fois plus rapide mais présente par conséquent l’inconvénient d’être aussi plus de deux fois plus cher que le Ilala.
L’année dernière, les habitants ont donc limité leurs déplacements sur le lac faute de ferry d’abord, puis de moyens pour monter sur le nouveau bateau. Ils ont fait pression auprès de la MSC pour le retour de leur cargo habituel. Celle-ci ne s’est pas fait prier pour faire reprendre du service au Ilala, le Chilembwe s’avérant à l’usage beaucoup plus gourmand en carburant que ce qui avait était prévu et coûtant une petite fortune à faire fonctionner, surtout en l’absence de passagers… Il est donc à son tour en révision et servira jusqu’à nouvel ordre de bateau d’appoint en cas de panne du Ilala.
Et c’est parti pour un tour de ferry…
Comme je l’ai déjà écrit, j’ai toujours aimé ces longs voyages en bateaux qui assurent le transport d’hommes et de marchandises et font des heures d’escales un peu partout en chemin ! Ils permettent d’appréhender la nature des échanges entre différentes régions d’un même pays, de s’arrêter dans des endroits reculés, d’observer les habitudes et discuter avec les locaux et aussi tout simplement de ralentir le rythme en regardant le paysage ou en éclusant son stock de bouquins.
L’expérience à bord du Ilala se révèle cependant un poil différente de ce à quoi je m’attendais :
- D’une part, les haltes ne permettent pas de faire un tour dans les villages : à part au départ à Monkey Bay, il n’y a jamais de quai et le tirant d’eau du bateau est trop important pour s’approcher du rivage. Il faut donc à chaque fois faire les manoeuvres de débarquement et d’embarquement à bord des chaloupes du Ilala ou des nombreux bateaux de pêcheurs qui viennent graviter autour du cargo pour accueillir ou déposer passagers et marchandises.
- D’autre part, le Ilala est assez limité en terme de mixité sociale puisqu’il comporte trois types de billets :
- première classe, sur le pont supérieur (9 000 Kuachas pour le trajet Monkey Bay > Likoma, environ 15 €),
- seconde classe et classe économique, sur le pont inférieur (environ la moitié et le tiers du prix de la première).
- sans oublier l’option cabine (24 000 Kuachas pour le trajet Monkey Bay > Likoma de mémoire, environ 40€). Elles sont situées sur le pont intermédiaire, ainsi que le restaurant (surprenamment bon), quelques toilettes et douches.
Embarquements et débarquements : une véritable foire d’empoigne
Certes, on ne fait pas escale à terre et c’est dommage de ne pouvoir descendre dans les différents villages devant lesquels nous mouillons… Néanmoins, le VRAI spectacle est en fait celui de l’embarquement et du débarquement à bord du Ilala.
A l’approche du prochain arrêt, marchandises et passagers s’entassent et patientent sur le pont inférieur. L’équipage est sur le qui-vive et fait descendre les deux chaloupes contre la paroi du bateau dès l’arrêt des moteurs. Au moment exact où les bateaux sont mis à l’eau démarre la foire d’empoigne. Une véritable marée humaine commence alors sa transhumance par-dessus bord, sur une petite échelle assez périlleuse du fait de son encombrement. Chacun joue la carte du « regroupement familial » pour justifier de jouer du coude et faire valdinguer femmes, enfants et sacs divers par-dessus les têtes.
Des barques de pêcheurs chargées à ras bord s’approchent par ailleurs du ferry pour apporter de nouvelles marchandises et de nouveaux passagers. Ca se percute, ça braille, ça fait tomber des choses à l’eau qu’on rattrape avec des rames ou en se jetant par-dessus bord. Un véritable spectacle.
Par certains aspects, ces moments me mettent un peu mal à l’aise du fait de la résonance qu’ils peuvent avoir avec l’actualité en Méditerranée depuis plusieurs mois et les bateaux de migrants. Evidemment, ce n’est pas le cas ici. Mais je ne peux m’empêcher de penser à ces frêles embarcations surchargées et aux conditions à bord de ces bateaux qui traversent à leurs risques et périls dans l’espoir de trouver une terre d’accueil.
Last but not least : mes photos du Ilala bientôt dans The Guardian
Pour la petite histoire de fin, il se trouve que j’ai rencontré à mon retour de Likoma un journaliste anglais en goguette à Cape Maclear (dans le Sud du lac Malawi). On tape la causette, je lui transmets quelques infos pratiques puisqu’il part sur le Ilala dans quelques jours. Il m’annonce au passage qu’il relatera son périple dans un article pour The Guardian avec qui il collabore régulièrement.
Je lui dis que si ça l’intéresse, j’ai fait quelques photos et compte monter un petit film sur le trajet. On échange nos emails rapidement… et paf 15 jours plus tard, alors que je suis en Papouasie, il me demande si je peux les lui envoyer. Mais je ne peux pas encore vous renvoyer vers l’article qui ne sera finalement publié qu’en janvier.
En bref, encore un heureux hasard de la vie. Wanderfull, isn’t it ?
8 réponses
J’allais allumer le feu pour chauffer le four où va cuire l’oie (5kg) de Noël quand tu m’as fait prendre ce ferry sur lequel j’ai pris l’air, les couleurs et d’autres senteurs.
Besito
Ravie que ce voyage t’ait inspiré, beijos
Moi aussi, tu me fais voyager Raph. dans ton vieux ferry sur des rives lointaines et improbables! Incroyables aussi ces hasards de la vie, hein, ce Paul rencontré avant, et ce journaliste à la fin, qui va t’ouvrir le Guardian! Heureuse que NighTbag t’ai protégée la nuit, mais comme tu as choisi la version Air, ultra légère, il ne t’a sûrement pas trop protégée du froid, ou bien? Tu avais au moins une couverture? La bise je te claque et prépare de joyeuses fêtes. Tu rentres au fait?
Merci Olga ! Et non, pas de couverture, j’avoue que je me suis bien gelée, héhéhé.
Je pars au Malawi en juillet, et je suis a la recherche d’infos et c’est assez dur à trouver ! Alors merci pour cet article, je compte bien faire une petite traversée sur le Ilala ferry ! 🙂
Tu as tellement raison de partir au Malawi, c’est un pays absolument merveilleux. Ravie de savoir que cet article t’a été utile dans la préparation de ton voyage.
Trop drôle! Nous avons vécu cette expérience en juin dernier. Exactement cela. Nous aussi nous nous sommes gelés sur le pont jusqu’à ce qu’un couple d’autrichiens nous prennent en pitié en nous prêtant sacs et tentes. Pittoresques et inoubliables souvenirs de cette superbe ile de Likoma. Elle se mérite
Haha magique n’est ce pas ! J’ai tellement aimé ce voyage improbable qui a de nombreux égards m’a rappelé les cargos tahitiens naviguant d’îles en île pour les ravitailler !