« One Zambia, One Nation »
«Une Zambie, Une Nation». Ceci n’est pas l’accroche publicitaire de la compagnie aérienne nationale ou d’un club de foot local, mais la devise de la Zambie. L’expression est dans la bouche de tous les zambiens, qui l’utilisent régulièrement, en général avec sérieux et conviction, même si on décèle parfois un brin d’ironie chez certains.
Elle est inscrite sur le blason adopté en 1964 au moment de l’indépendance du pays. Sous le Fish Eagle, emblème de la nation qui figure sur tous les billets de banque, on voit aussi un pic et une houe, qui représentent l’industrie minière et l’agriculture, les deux piliers du pays.
Effectivement, l’« unification » de la Zambie (anciennement Rhodésie du Nord) en nation indépendante s’est opérée de manière relativement pacifique. Malgré les 73 dialectes officiels qui perdurent, il ne semble pas y avoir de conflits entre ethnies ou tribus ni de relents de racisme. La Zambie est même une nation d’accueil pour de nombreux réfugiés des pays voisins, notamment congolais, somaliens et angolais, qui travaillent généralement dans les mines de cuivre du Nord, dans la région du Copperbelt.
Les zambiens ont également la réputation de faire partie des peuples d’Afrique les plus accueillants, chaleureux et doux. Je n’ai pu qu’en être témoin pendant tout mon séjour, c’est une réalité !
Une nation, deux vitesses
Toutefois, ça ressemble à s’y méprendre à une nation sacrément à deux vitesses, entre les ‘natifs’ (noirs) et les ‘coloniaux’ (blancs, généralement eux-mêmes natifs). Ces derniers représentent moins de 1% de la population mais détiennent l‘immense majorité des richesses. Il n’y a pas d’apartheid ici, il n’y en a jamais eu, et clairement la scission entre les deux couleurs de peau n’a jamais été aussi prononcée ou douloureuse qu’elle a pu l’être en Afrique du Sud. Toutefois, le décalage reste criant entre les deux races et on ne peut s’empêcher d’imaginer une forme d’animosité latente, de revendication non exprimée de la population noire à l’encontre des « White People ».
Les uns détiennent tout, ou presque. Les autres rien, ou presque. Il y a bien une classe moyenne émergente, mais uniquement dans les grandes villes (Livingstone et surtout Lusaka la capitale) et cela concerne une partie infime de la population noire. Cela dit, les blancs n’ont pas non plus débarqué de la cuisse de Jupiter. La plupart de ceux que j’ai rencontré sont nés ici, de parents et de grands-parents eux-mêmes nés en Afrique et n’imaginent pas leur vie ailleurs.
La plupart ont toujours vécu en Zambie, en-dehors de quelques années d’études en Afrique du Sud et / ou au Royaume Uni le plus souvent. Certains sont originaires d’Afrique du Sud (j’ai croisé beaucoup de jeunes « Sud Af’ » en Zambie et au Malawi, en quête d’opportunités de travail hors de leur pays). Enfin, il y a pas mal de blancs « réfugiés » du Zimbabwe (anciennement Rhodésie du Sud), expropriés quasiment du jour au lendemain, le gouvernement récupérant manu militari les terrains des fermes qu’ils avaient bâties depuis des générations.
Parenthèse sur la situation au Zimbabwe
Réfugiée du Zimbabwe, c’est le cas de Nina que j’ai rencontrée près de Livingstone.
Belle blonde longiligne de 42 ans, on a du mal à l’imaginer en native d’Afrique. Pourtant, elle fait bien partie de ces White People qui n’envisageraient pour rien au monde leur vie ailleurs. Ses grands-parents puis ses parents ont développé leurs fermes au Zimbabwe pendant des décennies. Mais ils ont dû abandonner leurs terres à la va-vite dans les années 2000. Ils ont à peine eu le temps d’entasser quelques biens dans une charrette à boeufs avant de rejoindre la petite piste d’atterrissage la plus proche et ont évacué in extremis, leur avion poursuivi par une voiture remplie de miliciens armés.
En effet, depuis 2000, le président Mugabe – à la tête du Zimbabwe depuis l’indépendance de 1980 – a mis en œuvre une réforme agraire qui consiste essentiellement à saisir la majorité des terres appartenant aux grands fermiers, spécifiquement les fermiers blancs qui avaient été maintenus sur leurs terres à l’occasion de l’indépendance.
Les redistributions de terre se sont passées de manière semi-anarchique. Souvent, des groupes ou milices notamment d’anciens combattants de la guerre d’indépendance prenaient purement et simplement possession de la terre, chassant les fermiers blancs et leurs employés.
La réforme a entraîné l’effondrement de l’économie du pays entre 2000 et 2009, qui repose à 60% sur l’agriculture et a eu des conséquences catastrophiques sur sa situation alimentaire. Sans parler de la dégradation de la situation diplomatique, le pays ayant carrément été suspendu de sa participation au Commonwealth dès 2005.
Le discours et la méthode sont extrêmes et discutables, cela dit ils traduisent un problème réel : en 2000, 4500 fermiers blancs se partageaient 11 millions d’hectares, alors que un million de paysans noirs s’entassaient sur 16 millions d’hectares. Aujourd’hui, il reste environ 400 fermiers blancs au Zimbabwe.
Une économie centrée sur les mines
Mais revenons en Zambie. Une immense majorité du PNB (70 à 80% environ) dépend des mines, de cuivre et de cobalt. Mais comme me l’explique Simon – l’ami de Nina, lui aussi réfugié du Zimbabwe – le pays est beaucoup trop dépendant de cette matière première unique, puisque sa richesse est liée aux fluctuations du cours mondial du cuivre. Dans les années 1970, la Zambie faisait partie des pays les plus pauvres au monde, sous l’effet conjugué – entre autres – de la corruption, d’un mauvais management des mines (alors nationalisées) et d’un cours mondial du cuivre excessivement bas.
Au début du millénaire, le pays a connu une brève période de prospérité tandis que le prix du cuivre montait de manière régulière. Entièrement privatisé en 2001, le secteur a bénéficié d’investissements étrangers accrus, majoritairement de Chine et d’Afrique du Sud. Malheureusement, le gouvernement n’en a pas profité pour engager une diversification de son économie et la Zambie a subi de plein fouet la crise financière de 2009 avec l’arrêt des investissements extérieurs.
En outre, le pays ne s’est jamais doté des infrastructures nécessaires pour transformer localement le cuivre et en tirer ainsi une certaine valeur ajoutée, comme le déplore Simon. Il est donc exporté brut – en immense partie vers la Chine – via les pays frontaliers. D’où l’importance de la mythique ligne de chemin de fer TAZARA finalisée au début des 80’s, qui relie la Zambie au port de Dar Es Salaam en Tanzanie, elle-même intégralement financée par la république populaire de Chine qui cherchait à propager son influence en Afrique.
Pour finir, l’industrie minière est largement automatisée et ne contribue aucunement à résoudre le problème de chômage chronique du pays.
Gentlemen farmers
L’agriculture est l’autre pilier de l’économie. Quand ils ne travaillent pas pour les mines, les Blancs locaux sont généralement des « farmers ». Ils font du blé, du tabac et de l’élevage surtout, dans d’immenses propriétés dans le bush. A ce propos, une des plus importantes compagnies agricoles zambiennes s’appelle « Zambeef », jeu de mot qui m’a fait bien rigoler la première fois où j’ai vu le nom inscrit sur un camion frigorifique (comme vous pouviez vous en douter, ils donnent largement dans la viande évidemment). Grosse success story nationale, l’entreprise a été créée en 1994 et compte aujourd’hui 5 600 personnes employés, en plus d’acheter la production de nombreuses fermes de petite ou moyenne taille dans le pays.
Quant aux petits fermiers locaux (noirs), ils cultivent principalement du maïs, dont la production est largement subventionnée par l’Etat, à hauteur de 65 Kuachas par kilos de maïs acheté par le gouvernement. Cela représente environ 8€ – une petite fortune ici – même si aux dernières nouvelles le gouvernement n’avait toujours pas payé les fermiers pour leur production de l’an dernier.
Le maïs est la base de l’alimentation locale : le nshima est le plat typique et constitue le repas du matin, du midi et du soir sans exception. Ca a le mérite de simplifier les prises de tête potentielles sur le menu du jour… Et l’inconvénient d’être très pauvre en nutriments et vitamines, ce qui explique le manque de défenses immunitaires de la population face aux maladies et infections. Le nshima est un mix entre porridge et purée ultra compacte à base de maïs pilé mélangé à de l’eau. Dans les bons jours, on le mange accompagné de légumes voire même de viande ou de poisson. C’est très roboratif et assez bon si accompagné d’une sauce goûtue et d’autres aliments, sinon ça n’a franchement pas beaucoup de goût.
Du coup, le fait de subventionner la production locale de maïs est un acte assez politique, c’est une manière détournée d’acheter les votes de la population pour le gouvernement en place. En 1986, le président Kaunda avait tenté de diversifier l’économie et d’améliorer la balance des paiements. La Zambie avait alors reçu une aide économique du FMI, mais ses conditions strictes impliquaient notamment de couper les aides gouvernementales à l’alimentation de base (le maïs). La hausse des prix qui en avait suivi provoqua des émeutes nationales et il y eut plusieurs morts. Kaunda restaura les subventions de l’Etat.
Football Nation : de la CAN à Cannes
Tant qu’à parler de la construction de la nation, j’en profite pour relater une anecdote incroyable très importante dans l’histoire de la Zambie, si l’on en croit ses habitants. Comme partout en Afrique, le football est LE sport national. Par conséquent, la Zambie a connu un drame national lorsque le 27 avril 1993, l’avion transportant l’équipe nationale pour un match de qualification de la Coupe du Monde au Sénégal s’est abîmé en mer juste après un ravitaillement en essence à Libreville.
Les 30 passagers, parmi lesquels 18 joueurs de l’équipe de foot et la plupart des entraîneurs, périrent dans cet accident d’avion. Grâce à la détermination et au leadership de son capitaine Kalusha Bwalya – un des rares joueurs qui n’était pas présent dans l’avion – et de l’entraîneur danois Roald Poulsen, la nouvelle équipe nationale parvint miraculeusement jusqu’en finale de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) l’année suivante, en 1994.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Février 2012, 18 ans plus tard : nous sommes de nouveau à Libreville au Gabon. Les « Chipolopolo Bullets » – l’équipe nationale de Zambie – est en finale de la CAN et joue contre la Côte d’Ivoire. Son coach est d’ailleurs français : Hervé Renard. Le jeu se termine sur un score de 0-0 au terme du temps réglementaire. Idem à l’issue des prolongations. Commence une série de tir aux buts. La Zambie gagne finalement le match au moment du 18ème tir au but ! J’imagine la liesse nationale : apparemment ça a été la folie pendant plusieurs jours dans tout le pays.
En 2015, le film documentaire e18hteam (réalisé par Ngosa Chungu et le réalisateur espagnol Juan Rodriguez Briso) fait le tour des festivals et est même présenté à Cannes. Son nom fait référence aux 18 joueurs disparus dans l’accident de 1993 et à la finale gagnée 18 ans après celle de 1994 au 18ème penalty.
J’espère que cette histoire vous a plu ! Moi je la trouve complètement dingo et j’aurais adoré en faire le film s’il n’était déjà fait…
A plus tard pour de nouvelles aventures (« Stay tuned for the next episode”, comme on dirait chez HBO) ! J’ai beaucoup de retard mais compte vous faire faire des sauts spatio-temporels dans les semaines à venir pour suivre les aventures de ces derniers mois en Zambie, au Malawi et aujourd’hui en Papouasie où je suis sur un bateau.
6 réponses
Top article – j’attends les autres avec impatience!
Merci Marine, ravie que ça te plaise et de te compter parmi
Les nouveaux lecteurs 🙂
Hyper intéressant Raph ! Et quel talent tu as pour présenter l’économie d’un pays. Plus des photos superbes ! Merci. Au fait, je lis toujours tes articles en regardant la carte de l’Afrique… A force j’espère la connaître par coeur 😉 Besos
Merciiiiiii ! Et ravie de savoir que sans le savoir je deviens prof de géo aussi un peu 🙂
Enfin trouvé le temps de te lire sur ce cours d’Afrique (de l’Est) qu’est la comparaison Zambie/ Zimbabwe, et l’incroyable portée du chiffre 18 du foot Zambien! Je me suis régalée. Cela m’a remis en mémoire un film magnifique et terrible sur l’expropriation d’une famille d’agriculteurs blancs… et sur ma propre histoire de famille rentrant d’Algérie après 5 générations la-bas, ‘une main devant, une main derrière’ comme on disait à l’époque. Difficiles sujets, peines réciproques et jamais éclusées! Bravo pour ton succès et tes 20 000 VU! Si tu continues, à ce rythme tu vas vite dépasser NighTbag et ses 44 400 VU. Au fait, ce NighTbag Air est bien pour la voile? J’ai besoin de témoignages… Merci encore pour tes récits, Raph, et à bientôt.
Coucou Olga, merci pour tes longs commentaires à chaque fois et ta lecture détaillée de mes articles, c’est vraiment cool ! J’espère bien atteindre les 44K VU, je compte sur vous pour passer le mot et me faire de la pub, hehehe. En attendant, ton NighTbag ne m’a pas servi sur le bateau je l’avoue car ils ont des jeux de draps aux dimensions précises des lits de cabine, toujours un peu farfelues. En revanche en voyage il me sert bien quand je suis dans des endroits sans draps (notamment lors de ma nuit dans le Ilala, attends les 2 prochains posts, tu sauras de quoi je parle très bientôt).